La dissolution judiciaire des entreprises polluantes clandestines : mécanismes juridiques et enjeux environnementaux

La prolifération d’entreprises opérant dans l’ombre des cadres réglementaires et causant des dommages environnementaux graves constitue un défi majeur pour notre société. Face à ces entités qui contournent délibérément les normes écologiques, la dissolution judiciaire s’impose comme une réponse juridique ultime. Cette sanction radicale, qui entraîne la mort juridique de la personne morale, soulève des questions complexes à l’intersection du droit des sociétés, du droit pénal et du droit de l’environnement. Nous analyserons dans cet exposé les fondements juridiques, les procédures et les conséquences de cette mesure exceptionnelle, tout en examinant son efficacité face aux défis environnementaux contemporains.

Fondements juridiques de la dissolution judiciaire environnementale

La dissolution judiciaire d’une entreprise polluante clandestine repose sur un socle juridique précis qui s’est considérablement renforcé ces dernières années. Le Code de l’environnement français, en constante évolution depuis sa création, intègre désormais des dispositions spécifiques permettant de sanctionner sévèrement les atteintes graves à l’environnement. L’article L173-1 et suivants établit un régime de sanctions pénales applicables aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) fonctionnant sans autorisation. Ce fondement constitue la pierre angulaire des poursuites contre les entreprises polluantes opérant clandestinement.

Parallèlement, le Code pénal offre un arsenal juridique complémentaire. L’article 131-39 prévoit explicitement la possibilité de prononcer la dissolution de la personne morale lorsque celle-ci a été créée pour commettre les faits incriminés ou lorsqu’elle a été détournée de son objet pour commettre ces mêmes faits. Cette disposition s’applique notamment aux infractions environnementales définies aux articles 421-2 et suivants, qui concernent les actes de terrorisme écologique, ainsi qu’aux articles L415-3 et suivants du Code de l’environnement relatifs aux atteintes aux espèces protégées.

La loi du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée a renforcé ce cadre en créant une juridiction spécialisée dans la lutte contre les atteintes à l’environnement. Cette évolution législative témoigne d’une prise de conscience croissante de la gravité des crimes environnementaux et de la nécessité d’y apporter des réponses judiciaires adaptées.

Sur le plan du droit des sociétés, les articles 1844-7 et suivants du Code civil prévoient les causes de dissolution des sociétés, parmi lesquelles figure la dissolution judiciaire prononcée par le tribunal à la demande d’un associé pour justes motifs. La jurisprudence a progressivement étendu la notion de « justes motifs » aux violations graves et répétées de la législation environnementale.

Évolution jurisprudentielle significative

L’arrêt de la Cour de cassation du 25 septembre 2012 marque un tournant décisif en reconnaissant que « les infractions graves et répétées aux dispositions du Code de l’environnement constituent des justes motifs de dissolution ». Cette décision a ouvert la voie à une application plus systématique de la dissolution judiciaire comme sanction des comportements les plus graves en matière d’atteinte à l’environnement.

La jurisprudence européenne a renforcé cette tendance, notamment avec l’arrêt Mangouras c/ Espagne de la Cour européenne des droits de l’homme du 28 septembre 2010, qui reconnaît la légitimité de sanctions particulièrement sévères en matière d’infractions environnementales, compte tenu des enjeux de protection de l’environnement.

  • Fondement constitutionnel : Charte de l’environnement de 2004 intégrée au bloc de constitutionnalité
  • Fondement législatif principal : Articles L173-1 et suivants du Code de l’environnement
  • Sanction pénale : Article 131-39 du Code pénal
  • Fondement civil : Articles 1844-7 et suivants du Code civil

Procédure de dissolution judiciaire : étapes et acteurs

La mise en œuvre d’une procédure de dissolution judiciaire d’une entreprise polluante clandestine implique plusieurs étapes et mobilise différents acteurs du système judiciaire. Cette procédure complexe débute généralement par la détection des activités illicites, se poursuit par l’enquête préliminaire puis aboutit à la décision judiciaire proprement dite.

Détection et signalement

Le point de départ réside souvent dans la détection des activités polluantes clandestines. Cette phase initiale peut résulter de l’action de différents acteurs :

Les inspecteurs de l’environnement rattachés à l’Office français de la biodiversité (OFB) ou aux Directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) jouent un rôle prépondérant dans l’identification des installations non conformes. Ils disposent de pouvoirs de contrôle étendus, définis aux articles L172-1 et suivants du Code de l’environnement.

Les associations de protection de l’environnement agréées peuvent exercer un rôle de vigilance et de signalement. L’article L142-2 du Code de l’environnement leur confère un droit d’action en justice particulier, leur permettant de se constituer partie civile en cas d’infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l’environnement.

Les citoyens peuvent signaler des faits suspects aux autorités compétentes ou utiliser le dispositif de lanceur d’alerte instauré par la loi Sapin II et renforcé par la loi du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte.

Phase d’enquête et poursuites

Une fois l’activité polluante clandestine détectée, une phase d’enquête approfondie est menée sous la direction du procureur de la République. Le parquet joue un rôle central dans la décision d’engager des poursuites pénales contre l’entreprise concernée.

Depuis la création des pôles régionaux spécialisés en matière d’environnement au sein des tribunaux judiciaires, les affaires les plus complexes sont confiées à ces juridictions disposant d’une expertise technique et juridique particulière. La circulaire du 11 mai 2021 relative à la justice environnementale précise les modalités de coordination entre les différents acteurs judiciaires.

L’enquête mobilise souvent des experts scientifiques chargés d’évaluer l’étendue des dommages environnementaux et d’établir le lien de causalité entre les activités de l’entreprise et les pollutions constatées. Ces expertises constituent des éléments de preuve déterminants dans la procédure.

Décision de dissolution et exécution

La dissolution judiciaire est prononcée par le tribunal correctionnel lorsqu’elle intervient comme sanction pénale, ou par le tribunal de commerce lorsqu’elle est fondée sur le droit des sociétés. La décision doit être spécialement motivée, conformément aux exigences de l’article 132-1 du Code pénal.

La Cour d’appel de Bordeaux, dans un arrêt du 13 janvier 2015, a précisé que « la dissolution d’une personne morale constitue la sanction la plus grave susceptible d’être prononcée et ne peut être justifiée que par des manquements d’une particulière gravité aux obligations légales ».

Une fois la dissolution prononcée, un liquidateur judiciaire est désigné pour procéder aux opérations de liquidation des actifs de l’entreprise. Sa mission, définie à l’article L641-4 du Code de commerce, inclut la réalisation des actifs pour désintéresser les créanciers, dont les créances environnementales liées à la réparation des dommages causés.

Dans le cadre spécifique des entreprises polluantes, le liquidateur doit collaborer avec les autorités environnementales pour assurer la mise en sécurité du site et la prise en charge des déchets ou substances dangereuses. Cette phase d’exécution est particulièrement délicate lorsque l’entreprise a opéré clandestinement, car les actifs disponibles sont souvent insuffisants pour couvrir les coûts de dépollution.

Critères jurisprudentiels pour justifier la dissolution

La dissolution judiciaire d’une entreprise polluante clandestine n’est pas prononcée de manière systématique. Les tribunaux ont progressivement défini des critères précis pour justifier cette mesure exceptionnelle. L’analyse de la jurisprudence permet d’identifier plusieurs facteurs déterminants qui guident l’appréciation des magistrats.

Gravité des atteintes environnementales

Le premier critère, et sans doute le plus déterminant, concerne l’ampleur et la nature des dommages environnementaux causés par l’entreprise. La Cour de cassation, dans un arrêt du 22 mars 2016, a confirmé que « la dissolution peut être prononcée lorsque les atteintes à l’environnement présentent un caractère irréversible ou difficilement réversible ».

Les tribunaux évaluent plusieurs aspects des dommages environnementaux :

  • L’étendue géographique de la pollution (locale, régionale, transfrontalière)
  • La durée de persistance des polluants dans l’environnement
  • L’impact sur la biodiversité et les écosystèmes
  • Les risques pour la santé humaine

Dans l’affaire Société Chimique de Gerland (Tribunal correctionnel de Lyon, 22 novembre 2019), la dissolution a été prononcée après la constatation d’une contamination massive des sols et des nappes phréatiques par des métaux lourds, avec des conséquences sanitaires avérées pour les populations riveraines.

Caractère intentionnel et clandestin

Le deuxième critère majeur concerne l’élément moral de l’infraction. Les juges distinguent clairement les situations résultant d’une négligence ou d’un accident industriel de celles relevant d’une stratégie délibérée de contournement des règles environnementales.

La Cour d’appel de Douai, dans un arrêt du 17 septembre 2018, a souligné que « le caractère clandestin de l’activité, associé à des manœuvres délibérées pour échapper aux contrôles administratifs, constitue une circonstance aggravante justifiant la dissolution ».

Les éléments suivants sont particulièrement pris en compte :

La création de sociétés écrans ou l’utilisation de prête-noms pour dissimuler les véritables responsables de l’activité polluante. L’absence totale de démarches administratives pour obtenir les autorisations nécessaires à l’exploitation. La mise en place de systèmes frauduleux pour contourner les contrôles (rejets nocturnes, dispositifs de dilution des polluants, falsification de documents).

Récidive et persistance dans l’illégalité

La récidive constitue un facteur aggravant majeur dans l’appréciation des tribunaux. Les entreprises ayant fait l’objet de mises en demeure ou de sanctions administratives préalables sans modifier leur comportement s’exposent particulièrement à la dissolution judiciaire.

Le Tribunal correctionnel de Marseille, dans un jugement du 5 février 2020, a justifié la dissolution d’une entreprise de traitement de déchets en soulignant que « malgré trois mises en demeure successives de la préfecture et une condamnation antérieure pour des faits similaires, la société a persisté dans ses pratiques illégales, démontrant ainsi son incapacité structurelle à se conformer aux exigences légales ».

Absence de perspective de mise en conformité

Les tribunaux évaluent la capacité et la volonté de l’entreprise à régulariser sa situation. Lorsque la mise en conformité apparaît techniquement impossible ou que l’entreprise ne présente aucun plan crédible pour y parvenir, la dissolution peut être privilégiée.

Dans l’affaire Recyclage Industriel du Nord (Cour d’appel de Douai, 14 novembre 2017), les juges ont relevé que « l’obsolescence des installations et l’absence de capacités financières suffisantes pour réaliser les investissements nécessaires à leur mise aux normes rendent illusoire toute perspective d’exploitation conforme à la réglementation environnementale ».

Ce critère s’apprécie notamment au regard des éléments suivants : La situation financière de l’entreprise et sa capacité à financer les travaux de mise en conformité. L’attitude de la direction face aux injonctions administratives antérieures. L’existence d’un plan d’action réaliste et chiffré pour remédier aux non-conformités.

Conséquences juridiques et pratiques de la dissolution

La dissolution judiciaire d’une entreprise polluante clandestine entraîne une cascade d’effets juridiques et pratiques qui dépassent largement la simple cessation d’activité. Ces conséquences touchent non seulement l’entreprise elle-même, mais aussi ses dirigeants, ses salariés, ses créanciers et l’environnement affecté par ses activités.

Effets patrimoniaux et liquidation des actifs

La dissolution judiciaire marque le début d’une phase de liquidation encadrée par les articles L640-1 et suivants du Code de commerce. Un liquidateur judiciaire est nommé avec pour mission de réaliser l’ensemble des actifs de l’entreprise afin de désintéresser les créanciers selon l’ordre de priorité légal.

Dans le contexte spécifique des entreprises polluantes, la liquidation présente des particularités notables :

Les créances environnementales, notamment celles liées à la dépollution du site, bénéficient d’un traitement privilégié depuis la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité. L’article L132-1 du Code de l’environnement consacre le principe du « pollueur-payeur », qui fonde la priorité accordée aux créances de réparation écologique.

Les actifs pollués ou contaminés peuvent s’avérer difficiles à valoriser, ce qui complique la tâche du liquidateur. La jurisprudence du Conseil d’État (CE, 24 octobre 2018) a précisé que « l’obligation de remise en état du site pèse sur le dernier exploitant, mais peut être recherchée auprès du propriétaire en cas de défaillance de celui-ci ».

Lorsque les actifs sont insuffisants pour couvrir les coûts de dépollution, l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) peut être sollicitée pour intervenir au titre de ses missions de service public. Toutefois, cette intervention n’exonère pas les responsables de leurs obligations et l’agence dispose d’actions récursoires contre eux.

Responsabilité personnelle des dirigeants

La dissolution de l’entreprise ne met pas fin aux poursuites contre ses dirigeants, qui peuvent voir leur responsabilité personnelle engagée sur plusieurs fondements :

Sur le plan pénal, les dirigeants peuvent être poursuivis en tant que personnes physiques pour les infractions environnementales commises pour le compte de l’entreprise. L’article L173-8 du Code de l’environnement prévoit des peines aggravées pour les personnes physiques lorsque l’infraction est commise par une personne morale.

La responsabilité civile des dirigeants peut être recherchée sur le fondement de l’article 1240 du Code civil (responsabilité délictuelle) ou des articles L651-1 et suivants du Code de commerce (action en responsabilité pour insuffisance d’actifs).

Une interdiction de gérer peut être prononcée à l’encontre des dirigeants pour une durée pouvant aller jusqu’à quinze ans, conformément à l’article L653-8 du Code de commerce. Cette sanction est particulièrement fréquente dans les cas d’exploitation d’activités polluantes clandestines.

Dans l’affaire Metaleurop, la Cour de cassation (Cass. com., 19 avril 2005) a confirmé la possibilité d’étendre la liquidation à la société mère en cas de confusion des patrimoines ou de fictivité de la filiale, élargissant ainsi le périmètre des responsabilités en matière environnementale.

Sort des salariés et impact social

La dissolution entraîne la rupture des contrats de travail des salariés de l’entreprise. Cette situation génère des conséquences sociales qui doivent être prises en compte :

Les créances salariales bénéficient d’un privilège dans l’ordre des paiements et sont partiellement garanties par l’AGS (Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés).

Des mesures d’accompagnement spécifiques peuvent être mises en place par les services publics de l’emploi pour faciliter la reconversion des salariés, particulièrement lorsque la dissolution affecte une zone déjà économiquement fragilisée.

La jurisprudence sociale a progressivement reconnu le droit à réparation des salariés exposés à des risques sanitaires liés aux activités polluantes clandestines de leur employeur. L’arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 11 mai 2010 a consacré la notion de préjudice d’anxiété pour les salariés exposés à des substances dangereuses.

Réparation des dommages environnementaux

La dissolution ne marque pas la fin du processus de réparation des dommages environnementaux, qui obéit à des règles spécifiques :

La remise en état du site est une obligation qui survit à la dissolution de l’entreprise. Le préfet conserve la possibilité d’émettre des arrêtés de mise en demeure à l’encontre du liquidateur ou des anciens dirigeants.

La réparation du préjudice écologique, consacrée par les articles 1246 et suivants du Code civil, peut être poursuivie par les associations agréées ou les collectivités territoriales concernées, indépendamment de la dissolution de l’entreprise responsable.

Des mesures de police administrative peuvent être prises en urgence pour sécuriser les sites dangereux, avec éventuellement une exécution d’office aux frais des responsables, conformément à l’article L171-8 du Code de l’environnement.

Défis et perspectives d’évolution du régime de dissolution environnementale

Le dispositif juridique de dissolution judiciaire des entreprises polluantes clandestines, malgré ses avancées indéniables, se heurte encore à des obstacles significatifs et soulève des questions quant à son efficacité réelle. Face à ces défis, plusieurs pistes d’évolution émergent pour renforcer la protection de l’environnement sans sacrifier la sécurité juridique.

Limites actuelles du dispositif

L’application du régime de dissolution judiciaire environnementale révèle plusieurs faiblesses structurelles qui en limitent l’efficacité :

La détection des activités polluantes clandestines demeure problématique en raison des moyens limités des services d’inspection. Un rapport de la Cour des comptes de 2021 souligne que « le nombre d’inspecteurs de l’environnement reste insuffisant au regard de l’ampleur des contrôles à effectuer », avec un ratio d’un inspecteur pour plusieurs centaines d’installations classées.

La lenteur des procédures judiciaires contraste avec l’urgence environnementale. Entre le constat des infractions et le prononcé définitif de la dissolution, plusieurs années peuvent s’écouler, période durant laquelle les dommages environnementaux s’aggravent. L’affaire Citron (Tribunal correctionnel du Havre, 2018) illustre cette problématique : huit ans se sont écoulés entre les premières constatations de pollution et la décision définitive de dissolution.

L’insolvabilité organisée des entreprises polluantes constitue un obstacle majeur. Les structures juridiques complexes, impliquant des sociétés offshore ou des montages en cascade, compliquent l’identification des véritables responsables et l’accès à leurs actifs. Le Tribunal de grande instance de Paris, dans un jugement du 6 juillet 2017, a souligné « la difficulté croissante à appréhender les patrimoines dissimulés à l’étranger pour garantir la réparation effective des dommages environnementaux ».

Innovations juridiques et propositions de réforme

Face à ces défis, plusieurs innovations juridiques sont en discussion ou en cours d’expérimentation :

Le renforcement des mesures conservatoires permettrait de geler rapidement les actifs des entreprises suspectées d’activités polluantes clandestines, avant même le jugement définitif. Cette approche, inspirée des procédures applicables en matière de criminalité organisée, a été recommandée par la Commission d’enquête parlementaire sur la pollution des sols dans son rapport de septembre 2020.

L’instauration d’une responsabilité environnementale de groupe plus robuste faciliterait la mise en cause des sociétés mères pour les dommages causés par leurs filiales. La proposition de loi déposée en février 2022 visant à renforcer la responsabilité environnementale des sociétés mères s’inscrit dans cette logique, en proposant un mécanisme de levée du voile sociétaire en cas d’atteintes graves à l’environnement.

La création d’un délit d’écocide dans le Code pénal français, à l’instar des évolutions observées dans d’autres pays européens comme la Belgique, permettrait de sanctionner plus sévèrement les atteintes les plus graves à l’environnement. Cette qualification pénale faciliterait le recours à la dissolution judiciaire pour les cas les plus graves.

Dimension internationale et approche comparative

La problématique des entreprises polluantes clandestines dépasse largement les frontières nationales et appelle des réponses coordonnées :

La directive européenne 2008/99/CE relative à la protection de l’environnement par le droit pénal a posé les bases d’une harmonisation des sanctions environnementales au sein de l’Union européenne. Sa révision, actuellement en discussion, devrait renforcer les exigences minimales en matière de sanctions applicables aux personnes morales.

Le règlement européen 2020/1503 sur le contrôle des transferts transfrontaliers de déchets offre un cadre pour lutter contre l’exportation illégale de déchets dangereux, pratique fréquente des entreprises polluantes clandestines. Son application effective nécessite cependant une coopération renforcée entre les autorités nationales.

À l’échelle internationale, le Protocole de Kiev sur les registres des rejets et transferts de polluants, ratifié par la France en 2009, favorise la transparence et l’accès aux informations environnementales, contribuant ainsi à la détection des activités polluantes non déclarées.

Vers un équilibre entre sanction et prévention

Au-delà des aspects purement répressifs, l’évolution du régime de dissolution judiciaire environnementale s’oriente vers une approche plus équilibrée entre sanction et prévention :

Le développement des conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP) en matière environnementale, instaurées par la loi du 24 décembre 2020, offre une alternative à la dissolution pour les entreprises qui acceptent de reconnaître les faits, de payer une amende et de mettre en œuvre un programme de mise en conformité sous surveillance. Cette procédure, inspirée du modèle américain des « Deferred Prosecution Agreements », permet d’obtenir des résultats concrets pour l’environnement tout en préservant l’activité économique.

Le renforcement des obligations de vigilance environnementale des entreprises, dans le prolongement de la loi sur le devoir de vigilance de 2017, constitue un levier préventif prometteur. L’extension de ces obligations aux PME opérant dans des secteurs à risque environnemental élevé est actuellement à l’étude.

La création de fonds de garantie environnementale obligatoires pour certaines activités à risque permettrait de sécuriser les ressources nécessaires à la réparation des dommages, même en cas d’insolvabilité ou de dissolution de l’entreprise responsable. Le Sénat a formulé une proposition en ce sens dans son rapport d’information de juin 2021 sur la responsabilité civile environnementale.

Ces évolutions témoignent d’une approche plus systémique des problématiques environnementales, qui ne se limite pas à la sanction des comportements les plus graves mais cherche à mobiliser l’ensemble des leviers juridiques disponibles pour garantir une protection effective de l’environnement.

La dissolution judiciaire : dernier rempart ou simple symbole ?

Au terme de cette analyse approfondie du régime de dissolution judiciaire des entreprises polluantes clandestines, une question fondamentale se pose : cette sanction ultime constitue-t-elle un rempart efficace contre les atteintes graves à l’environnement ou demeure-t-elle un symbole dont la portée pratique reste limitée ? L’examen des forces et faiblesses de ce dispositif permet d’en évaluer la pertinence face aux défis environnementaux contemporains.

Un signal fort mais une application rare

La dissolution judiciaire représente indéniablement un signal dissuasif puissant adressé aux opérateurs économiques. Elle incarne la réprobation sociale maximale face aux comportements les plus graves en matière environnementale. Cependant, les statistiques judiciaires révèlent la rareté de son application effective.

Selon les données du ministère de la Justice, moins de dix dissolutions judiciaires pour motifs environnementaux sont prononcées chaque année en France, malgré plusieurs milliers d’infractions constatées. Ce décalage s’explique par plusieurs facteurs :

Le principe de proportionnalité des peines, consacré tant par la Constitution que par la Convention européenne des droits de l’homme, impose aux juges de réserver cette sanction aux cas les plus graves.

Les considérations économiques et sociales, notamment la préservation de l’emploi, influencent l’appréciation des magistrats, particulièrement dans les territoires déjà fragilisés.

Les difficultés probatoires liées à la démonstration du caractère intentionnel des infractions et à l’établissement précis du lien de causalité entre l’activité de l’entreprise et les dommages environnementaux constatés limitent les possibilités de dissolution.

L’efficacité environnementale en question

Au-delà de sa rareté, l’efficacité environnementale de la dissolution judiciaire suscite des interrogations légitimes :

La dissolution intervient généralement après que les dommages environnementaux ont été causés, limitant sa portée préventive. Le Tribunal correctionnel de Toulouse, dans un jugement du 19 novembre 2019, a souligné ce paradoxe en notant que « la dissolution sanctionne la société responsable mais n’efface pas les conséquences de ses actes sur l’environnement ».

La disparition juridique de l’entreprise peut paradoxalement compliquer la mise en œuvre des mesures de réparation écologique. En l’absence d’actifs suffisants, les coûts de dépollution retombent souvent sur la collectivité, comme l’illustre l’affaire Métal Blanc où l’État a dû financer l’essentiel des opérations de dépollution après la liquidation de l’entreprise.

Le risque de voir émerger des entreprises phénix, recréées sous d’autres formes juridiques par les mêmes dirigeants après la dissolution, demeure préoccupant malgré les interdictions de gérer qui peuvent être prononcées.

Vers une approche écosystémique de la sanction environnementale

Face à ces limites, la dissolution judiciaire gagne à être envisagée non comme une solution isolée mais comme un élément d’un dispositif plus large de protection de l’environnement :

Son articulation avec d’autres sanctions pénales (amendes, confiscations, obligation de remise en état) et administratives (suspension d’activité, consignation de sommes) permet d’adapter la réponse répressive à chaque situation.

Le développement de mécanismes assurantiels et de garanties financières obligatoires pour les activités à risque environnemental constitue un complément indispensable pour garantir la disponibilité des fonds nécessaires à la réparation, indépendamment du sort de l’entreprise.

L’implication croissante des acteurs financiers (banques, investisseurs, assureurs) dans l’évaluation des risques environnementaux crée une pression économique qui peut s’avérer plus efficace que la menace de sanctions judiciaires pour inciter les entreprises à respecter leurs obligations environnementales.

Perspectives et enjeux futurs

Le régime de dissolution judiciaire des entreprises polluantes clandestines continuera d’évoluer pour répondre aux défis environnementaux émergents :

L’intégration des enjeux climatiques dans l’appréciation des dommages environnementaux pourrait élargir le champ d’application de la dissolution aux entreprises dont l’activité contribue significativement au réchauffement climatique en violation des engagements nationaux et internationaux.

La prise en compte croissante des atteintes à la biodiversité comme motif autonome de sanction environnementale, conformément aux objectifs de la Stratégie nationale pour la biodiversité 2030, pourrait renforcer le recours à la dissolution pour les activités particulièrement destructrices.

Le développement de la responsabilité pénale environnementale des personnes morales à l’échelle européenne, dans le cadre de la révision de la directive 2008/99/CE, devrait favoriser une harmonisation des pratiques et prévenir les stratégies de délocalisation des activités polluantes vers les pays aux législations moins contraignantes.

La dissolution judiciaire des entreprises polluantes clandestines apparaît ainsi comme un outil juridique puissant mais dont l’efficacité dépend largement de son intégration dans une stratégie globale de protection de l’environnement. Son évolution future reflètera la capacité du droit à s’adapter pour répondre aux défis écologiques majeurs du XXIe siècle, tout en préservant les principes fondamentaux de notre ordre juridique.