
Face à la pénurie de places en établissements spécialisés, l’accueil familial représente une alternative précieuse pour de nombreuses personnes vulnérables. Pourtant, ce dispositif reste soumis à un processus d’agrément rigoureux, dont les refus peuvent briser des vocations légitimes et priver des bénéficiaires potentiels d’un cadre adapté. La contestation d’un refus d’agrément s’inscrit dans un cadre juridique complexe, entre protection des personnes accueillies et respect des droits des candidats à l’agrément. Cette tension permanente génère un contentieux spécifique où s’entrechoquent considérations administratives, évaluations psychosociales et garanties procédurales. Comprendre les mécanismes de contestation devient alors fondamental pour qui souhaite faire valoir son projet d’accueil.
Le cadre juridique de l’agrément pour l’accueil familial
L’accueil familial constitue un dispositif encadré par le Code de l’action sociale et des familles (CASF), principalement par les articles L.441-1 à L.444-9. Cette forme d’accueil permet à des particuliers d’héberger à leur domicile, moyennant rémunération, des personnes âgées ou handicapées. Le législateur a prévu un système d’agrément préalable obligatoire, délivré par le Conseil départemental, pour exercer cette activité.
La procédure d’agrément vise à garantir la qualité de l’accueil proposé et la sécurité des personnes vulnérables. Les conditions d’obtention sont précisées par l’article L.441-1 du CASF et comprennent des exigences relatives aux conditions matérielles d’accueil, aux qualités humaines du demandeur et à sa capacité à proposer un projet cohérent.
L’instruction de la demande d’agrément suit un processus méthodique. Le candidat doit constituer un dossier administratif complet qui sera évalué par les services départementaux. Cette évaluation comporte généralement:
- Des visites au domicile du candidat
- Des entretiens individuels et familiaux
- L’analyse du projet d’accueil
- L’évaluation des motivations du candidat
Le président du Conseil départemental dispose d’un délai de quatre mois pour statuer sur la demande. Son silence au terme de ce délai vaut décision de rejet, conformément à l’article R.441-4 du CASF. Cette particularité procédurale mérite d’être soulignée car elle déroge au principe général selon lequel le silence de l’administration vaut acceptation.
En cas de refus d’agrément, la décision doit être motivée et notifiée au demandeur. Cette exigence de motivation s’inscrit dans le cadre général posé par la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs. La motivation doit être suffisamment précise et circonstanciée pour permettre au demandeur de comprendre les raisons du refus et, le cas échéant, d’adapter son projet ou de contester efficacement la décision.
Le cadre juridique prévoit explicitement des voies de recours contre les décisions de refus d’agrément. Ces voies de recours s’inscrivent dans une logique de protection des droits du demandeur tout en préservant la finalité protectrice du dispositif d’agrément. La contestation d’un refus s’organise selon une architecture à plusieurs niveaux qui combine recours administratifs préalables et recours contentieux.
Les motifs légitimes de refus d’agrément et leurs limites
L’administration dispose d’un pouvoir d’appréciation encadré pour évaluer les demandes d’agrément. Les refus d’agrément doivent reposer sur des motifs légitimes, expressément prévus par les textes ou dégagés par la jurisprudence. Ces motifs s’articulent autour de trois axes principaux : la sécurité des personnes accueillies, la qualité de l’accueil proposé et l’adéquation du projet avec les besoins des bénéficiaires.
Concernant la sécurité physique et psychique des personnes accueillies, l’administration peut légitimement invoquer :
- L’inadaptation des locaux (absence d’accessibilité, dangers potentiels, insalubrité)
- Des antécédents judiciaires incompatibles avec la mission d’accueil
- Des troubles psychologiques ou comportementaux chez le demandeur ou un membre de son foyer
Quant à la qualité de l’accueil, l’évaluation porte sur des éléments plus subjectifs mais néanmoins déterminants :
La capacité du candidat à établir une relation respectueuse avec les personnes accueillies constitue un critère fondamental. Le Conseil d’État, dans une décision du 12 février 2014 (n°354950), a validé un refus d’agrément fondé sur l’incapacité du demandeur à prendre suffisamment de recul par rapport à ses propres difficultés. Cette jurisprudence souligne l’importance accordée à l’équilibre psychologique du candidat.
L’aptitude à comprendre les besoins spécifiques des personnes vulnérables représente un autre critère majeur. Dans un arrêt du 13 novembre 2013 (n°347635), le Conseil d’État a confirmé le refus d’agrément opposé à une personne dont le projet ne démontrait pas une compréhension suffisante des problématiques liées au handicap.
Ces motifs légitimes de refus connaissent néanmoins des limites strictes. L’administration ne peut fonder sa décision sur des considérations discriminatoires ou sans rapport avec l’objet de l’agrément. Ainsi, l’âge du candidat, son orientation sexuelle, ses convictions religieuses ou politiques ne peuvent, en tant que tels, justifier un refus d’agrément.
La jurisprudence administrative a progressivement encadré le pouvoir d’appréciation des départements. Par exemple, dans un arrêt du 24 avril 2012 (n°339537), le Conseil d’État a censuré un refus d’agrément fondé exclusivement sur l’âge avancé du demandeur, sans que des éléments concrets ne démontrent son incapacité à assurer la mission d’accueil.
De même, l’administration ne peut se fonder sur des appréciations trop générales ou des présomptions non étayées. La Cour Administrative d’Appel de Bordeaux, dans un arrêt du 18 décembre 2018 (n°16BX03978), a annulé un refus d’agrément motivé par de simples « doutes » sur les capacités du demandeur, sans que ces doutes ne soient corroborés par des éléments tangibles du dossier.
Les recours administratifs : première étape de la contestation
Avant d’envisager la saisine du juge administratif, le candidat confronté à un refus d’agrément dispose de voies de recours administratifs. Ces recours présentent l’avantage de pouvoir aboutir à un réexamen de la demande sans les contraintes procédurales et les délais inhérents au contentieux judiciaire.
Le recours gracieux constitue la première option à la disposition du candidat évincé. Il s’agit d’une demande de réexamen adressée à l’auteur même de la décision contestée, en l’occurrence le président du Conseil départemental. Ce recours doit être formé dans un délai de deux mois à compter de la notification du refus.
Pour optimiser ses chances de succès, le recours gracieux doit répondre à plusieurs exigences formelles et substantielles :
- Identifier précisément la décision contestée
- Exposer clairement les arguments de fait et de droit qui justifient une révision
- Joindre tout élément nouveau susceptible de modifier l’appréciation initiale
Le recours hiérarchique, bien que théoriquement possible, présente un intérêt limité dans le domaine de l’agrément pour l’accueil familial. En effet, le président du Conseil départemental, autorité décentralisée, ne s’inscrit pas dans une relation hiérarchique classique avec une autorité supérieure. Toutefois, dans certains cas spécifiques, notamment lorsque la décision a été prise par délégation, un recours peut être adressé à l’autorité délégante.
Parallèlement à ces recours classiques, le Code de l’action sociale et des familles prévoit un dispositif spécifique à l’article R.441-5 : la Commission consultative de recours. Cette commission, instituée au niveau départemental, est composée de représentants du département, de personnes qualifiées dans le domaine de l’accueil familial et de représentants des usagers.
Saisie par le demandeur dans un délai de deux mois suivant la notification du refus, la commission émet un avis consultatif après avoir examiné le dossier et éventuellement entendu le candidat. Cet avis, bien que non contraignant pour le président du Conseil départemental, peut influencer significativement sa décision finale.
La procédure devant la commission présente plusieurs particularités :
Le demandeur peut se faire assister par une personne de son choix lors de son audition. Cette possibilité, consacrée par la jurisprudence (CE, 14 décembre 2009, n°305826), renforce les garanties procédurales offertes au candidat.
La commission doit respecter le principe du contradictoire, en permettant au demandeur d’avoir accès aux éléments de son dossier et de présenter ses observations. Le non-respect de cette exigence peut constituer un moyen d’annulation de la décision finale (CAA Marseille, 19 février 2013, n°10MA04645).
À l’issue de l’examen du recours administratif, le président du Conseil départemental prend une nouvelle décision qui se substitue à la précédente. Cette décision doit être motivée et notifiée au demandeur. En cas de maintien du refus, le demandeur peut alors envisager la voie contentieuse.
La médiation préalable : une voie alternative de résolution des conflits
Depuis la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, la médiation préalable obligatoire a été expérimentée dans certains contentieux sociaux. Bien que non spécifiquement prévue pour les refus d’agrément d’accueil familial, cette procédure peut constituer une alternative intéressante au recours contentieux direct.
Le recours contentieux : saisir le juge administratif
Lorsque les recours administratifs n’ont pas permis d’obtenir satisfaction, le candidat peut engager un recours contentieux devant la juridiction administrative. Cette démarche obéit à des règles procédurales strictes et nécessite une argumentation juridique solide pour maximiser les chances de succès.
Le tribunal administratif territorialement compétent est celui dans le ressort duquel se trouve le siège du Conseil départemental ayant refusé l’agrément. Le recours doit être introduit dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de rejet du recours administratif préalable, ou à compter de la décision initiale si aucun recours administratif n’a été exercé.
La requête introductive d’instance doit comporter plusieurs éléments essentiels :
- Les nom, prénom et adresse du requérant
- La décision attaquée (joindre une copie)
- Un exposé des faits
- Les moyens de droit invoqués
- Les conclusions (ce que demande précisément le requérant)
L’assistance d’un avocat, bien que non obligatoire en première instance, est vivement recommandée compte tenu de la technicité du contentieux administratif et des spécificités du droit de l’action sociale.
Sur le fond, le requérant peut invoquer différents moyens de légalité externe et interne pour contester le refus d’agrément :
Les vices de forme et de procédure constituent des moyens fréquemment invoqués. L’insuffisance de motivation, le non-respect du principe du contradictoire ou l’irrégularité dans la composition de la commission consultative peuvent justifier l’annulation de la décision. Dans un arrêt du 30 mai 2016 (n°14MA01915), la Cour Administrative d’Appel de Marseille a ainsi annulé un refus d’agrément pour défaut de motivation suffisante.
L’erreur de droit peut être caractérisée lorsque l’administration a fait une application erronée des textes régissant l’agrément. Par exemple, dans une décision du 7 juin 2017 (n°15BX01208), la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux a censuré un refus fondé sur des critères non prévus par les textes applicables.
L’erreur manifeste d’appréciation constitue un moyen pertinent lorsque l’évaluation des capacités du candidat apparaît manifestement erronée au regard des éléments du dossier. La jurisprudence admet ce moyen avec prudence, respectant la marge d’appréciation dont dispose l’administration, mais sanctionne les appréciations manifestement disproportionnées.
Le détournement de pouvoir peut être invoqué lorsque la décision de refus semble motivée par des considérations étrangères à l’intérêt des personnes accueillies. Ce moyen, difficile à établir, nécessite de démontrer que l’administration a utilisé ses pouvoirs dans un but autre que celui pour lequel ils lui ont été conférés.
Le juge administratif, saisi d’un recours contre un refus d’agrément, exerce un contrôle de légalité complet. Il vérifie tant la régularité formelle de la décision que son bien-fondé au regard des exigences légales et réglementaires. Si le recours est accueilli favorablement, le juge prononce l’annulation de la décision de refus, ce qui contraint l’administration à réexaminer la demande d’agrément.
Les référés : des procédures d’urgence rarement adaptées
Les procédures de référé, notamment le référé-suspension prévu à l’article L.521-1 du Code de justice administrative, offrent théoriquement la possibilité d’obtenir la suspension d’un refus d’agrément dans l’attente du jugement au fond. Toutefois, les conditions exigées (urgence et doute sérieux quant à la légalité de la décision) sont rarement réunies en matière d’agrément pour l’accueil familial.
Stratégies juridiques et recommandations pratiques pour contester efficacement
Contester un refus d’agrément pour l’accueil familial ne se limite pas à l’exercice mécanique des voies de recours. Une approche stratégique, combinant anticipation, préparation minutieuse et argumentation ciblée, augmente significativement les chances de succès.
La préparation en amont du recours constitue une étape déterminante. Avant même de rédiger sa contestation, le candidat doit procéder à une analyse approfondie de la décision de refus et du dossier d’évaluation. Cette analyse permet d’identifier les points faibles de l’argumentation administrative et de construire une réponse adaptée.
L’accès au dossier administratif représente un droit fondamental consacré par la loi du 17 juillet 1978 relative à l’accès aux documents administratifs. Le candidat doit formuler une demande écrite auprès du service concerné pour obtenir communication de l’intégralité des rapports et évaluations ayant conduit au refus. En cas de difficulté, la saisine de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) peut s’avérer nécessaire.
L’analyse du dossier doit se concentrer sur plusieurs aspects :
- L’identification des critères d’évaluation utilisés
- La détection d’éventuelles contradictions dans l’argumentation
- Le repérage d’appréciations subjectives insuffisamment étayées
- La mise en évidence d’éléments favorables au candidat qui auraient été négligés
Sur cette base, le candidat peut élaborer une stratégie argumentative ciblée. Cette stratégie doit combiner la contestation des points négatifs relevés et la valorisation des aspects positifs du projet d’accueil.
Pour renforcer sa position, le candidat peut utilement recueillir des éléments probatoires complémentaires :
Des attestations de personnes qualifiées (professionnels de santé, travailleurs sociaux, etc.) peuvent apporter un éclairage différent sur les capacités du demandeur. La Cour Administrative d’Appel de Nancy, dans un arrêt du 9 avril 2015 (n°14NC01489), a pris en considération de telles attestations pour annuler un refus d’agrément.
Des expertises techniques concernant l’adaptation du logement peuvent contredire des conclusions hâtives sur l’inadéquation des conditions matérielles d’accueil.
La démonstration d’une démarche de formation continue ou de perfectionnement témoigne de la volonté du candidat d’améliorer ses compétences et peut répondre à des critiques sur son manque de préparation.
Au-delà des aspects purement juridiques, l’approche relationnelle avec l’administration mérite une attention particulière. Maintenir un dialogue constructif avec les services départementaux, même en situation de désaccord, peut faciliter une résolution amiable du litige.
Dans certains cas, il peut être judicieux de proposer un projet alternatif ou amendé qui tienne compte des observations formulées par l’administration. Cette démarche témoigne d’une volonté de coopération et peut conduire à une réévaluation positive de la demande.
Enfin, le recours à un conseil juridique spécialisé en droit social ou en droit administratif constitue un atout majeur. L’avocat apporte non seulement une expertise technique, mais peut également jouer un rôle de médiateur avec l’administration.
La question du renouvellement de la demande
En cas d’échec des recours, le candidat conserve la possibilité de présenter une nouvelle demande d’agrément. Aucun délai minimal n’est imposé par les textes entre deux demandes successives, mais il est recommandé d’attendre suffisamment longtemps pour pouvoir démontrer une évolution significative de la situation ou du projet.
Vers une évolution du droit de l’agrément : défis et perspectives
Le contentieux des refus d’agrément pour l’accueil familial s’inscrit dans un contexte d’évolution constante du droit social et administratif. Les récentes mutations législatives et jurisprudentielles dessinent de nouvelles perspectives pour les candidats à l’agrément et invitent à une réflexion prospective sur les évolutions souhaitables du dispositif.
La professionnalisation croissante de l’accueil familial constitue une tendance de fond qui influence progressivement l’approche des demandes d’agrément. La loi d’adaptation de la société au vieillissement du 28 décembre 2015 a renforcé les exigences de formation des accueillants familiaux, tout en clarifiant leur statut. Cette évolution vers un statut plus professionnel s’accompagne logiquement d’une formalisation accrue des critères d’agrément.
La jurisprudence administrative récente témoigne d’une tendance à un contrôle plus poussé des motivations de refus d’agrément. Le juge administratif, traditionnellement réticent à substituer son appréciation à celle de l’administration dans des domaines techniques, semble exercer un contrôle plus approfondi lorsque sont en jeu des libertés fondamentales comme la liberté professionnelle.
Cette évolution jurisprudentielle se manifeste notamment par une exigence renforcée quant à la qualité de la motivation des refus. Dans un arrêt du 13 mars 2019 (n°17MA01272), la Cour Administrative d’Appel de Marseille a ainsi censuré un refus d’agrément dont la motivation reposait sur des appréciations trop générales et insuffisamment circonstanciées.
Parallèlement, on observe une harmonisation progressive des pratiques départementales en matière d’agrément. Cette harmonisation, encouragée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), vise à réduire les disparités territoriales et à garantir une plus grande équité dans le traitement des demandes.
Plusieurs défis persistent néanmoins et appellent des réponses juridiques adaptées :
- La tension entre exigence de qualité et besoin quantitatif de places d’accueil
- L’équilibre entre sécurité des personnes accueillies et respect des droits des candidats
- La prise en compte des nouvelles formes d’accueil familial (accueil partagé, habitat inclusif, etc.)
Face à ces défis, plusieurs pistes d’évolution peuvent être envisagées :
La création d’une instance nationale de recours spécialisée pourrait garantir une interprétation homogène des critères d’agrément sur l’ensemble du territoire. Cette instance, composée d’experts indépendants, constituerait un niveau intermédiaire entre les commissions départementales et le juge administratif.
Le développement d’une procédure d’agrément provisoire permettrait d’expérimenter des projets innovants sans compromettre la sécurité des personnes accueillies. Ce dispositif pourrait s’inspirer de ce qui existe déjà pour certains établissements sociaux et médico-sociaux.
L’instauration d’un référentiel national d’évaluation des demandes d’agrément, élaboré de manière concertée avec les représentants des accueillants familiaux et des usagers, contribuerait à objectiver les critères d’appréciation et à réduire la part de subjectivité dans les décisions.
La reconnaissance d’un droit à l’accompagnement des candidats à l’agrément permettrait de transformer la procédure en un processus plus constructif. Cet accompagnement pourrait prendre la forme d’une formation préalable, d’un tutorat par des accueillants expérimentés ou d’un soutien technique à l’élaboration du projet d’accueil.
Ces évolutions potentielles s’inscrivent dans une tendance plus large de judiciarisation des rapports sociaux, où le droit devient un instrument de régulation des relations entre les citoyens et l’administration. Dans ce contexte, la contestation d’un refus d’agrément ne doit pas être perçue comme une démarche conflictuelle, mais comme l’exercice légitime d’un droit de recours qui contribue à l’amélioration continue du dispositif d’accueil familial.